Quand la France se met au vert-jaune, l’Amazonie vire au rose

Alors que les hirondelles sont en déclin, cette année, c’est le Brésil qui nous a annoncé le printemps[1]. Depuis le 21 mars, en effet, le Brésil est à l’honneur en France. A Paris, les jours rallongent. A São Paulo et Rio de Janeiro, ils racourcissent.

Ici, on attend l’été et toutes ses fêtes estivales, paroissiales, qui célèbrent la culture et la nature. Là-bas, c’est l’hiver qui pointe son museau, le carnaval est déjà loin, il pleut, il fait moins chaud. C’est le moment pour les Cariocas et Paulistas les plus fortunés de se rendre dans la vieille Europe, pour retrouver leurs racines et des températures clémentes. Les avions repartiront chargés des européens en quête de flamboyance tropicale. L’Amazonie est toujours là ; ils ne seront pas déçus, mais pour combien de temps encore ?

C’est le mois de mai maintenant, le mois du renouveau printanier, le mois du muguet, celui des manifestations (sic !) qui magnifient les beautés fleuries de la Nature. Au sortir d’un hiver classiquement grisâtre, pluvieux, neigeux, bref pas vraiment coloré, nos campagnes, villes et villages se parent des milles couleurs des fleurs sauvages, champêtres, jardinées, jaunes comme les boutons d’or des pissenlits étincelants au milieu des prairies et des pâturages. Les blés se développent dans les champs, les fleurs de colza sont au rendez-vous dans les campagnes ; entre deux giboulées, le jaune nous éclabousse le visage, et contraste sur le fond verdoyant des bosquets épars. Un véritable hymne aux couleurs du Brésil ! Jusqu’aux paysages agricoles de ma Picardie dominicale, parsemés d’îlots boisés, derniers fragments de la vieille forêt de chênes qui couvrait tout le Nord de la France au Moyen-Age. En revanche, la forêt amazonienne, puisque c’est d’elle dont il va être aussi question en 2005, n’est plus totalement verte. Vue du ciel, vue par les satellites Landsat, l’Amazonie vire au rose.

Après la Chine, c’est donc au tour du Brésil de faire escale en France jusqu’en décembre 2005. Le rouge qui sera encore de mise en ce mois de mai sur fond de referendum, de drapeau européen bleu étoilée, cèdera progressivement sa place au vert-jaune au moment fort des célébrations de l’amitié entre deux pays frontaliers, presque des cousins germains pourrait-on dire. Aucun média ne rate une occasion de rappeler l’importance de la culture française, passée et présente, au Brésil, de Rio à Belem. Mais, on oublie souvent de rappeler l’importance de la Guyane dans ces relations amicales franco-brésilienne, ou alors en pinçant les lèvres. La Guyane c’est bien la France. On pourrait même aujourd’hui ajouter que, la Guyane, c’est aussi devenu un peu plus le Brésil[2]. Le vert et le jaune envahissent les villes de la métropole y apportant, avant l’heure, une bouffée de vie équinoxiale, chaude et bigarrée, joyeuse et musicale ; en Guyane, on connaît bien cela depuis de nombreuses années. Cela va faire du bien en métropole en ces temps de morosité économique ! Les deux couleurs s’affichent sur les panneaux publicitaires, dans les vitrines, dans les journaux, dans les médias, en radio, dans les salles obscures, tous les moyens sont bons pour nous rappeler, évoquer, nous donner envie du Brésil. Mais de quel Brésil va-t-on discourir ? Du Brésil du XXIème siècle, celui de Lula et des plantations de soja aux OGM qui remplacent les élevages de bovins, lesquels repoussent toujours plus loin vers l’intérieur les limites de la forêt, notamment dans le Para et le Mato Grosso ? Du Brésil des années ’70 de Giberto Gil (le ministre de la Culture de Lula), des plages d’Ipanema et de Copacabana, celles qui ont fait rêver les générations des trente glorieuses. Ou du Brésil de l’époque, bien révolue celle-là, des explorateurs du XVIème siècle, et de la colonisation de l’Amazonie par les Portugais? Ou bien encore du Brésil de Chico Mendes, seringueiros, producteur de caoutchouc, le défenseur des Hevea braziliensis de sa forêt, opposant farouche à la déforestation, assassiné en 1988. C’est aussi de ce Brésil, à nouveau d’actualité avec la récente disparition tragique d’une religieuse ‘écologiste’, qui prônait le commerce équitable et le développement durable dans l’Etat du Para dont on aimerait entendre parler plus souvent. Sur les médias, en radio, dans les expositions, dans les musées, le Brésil nous offre aujourd’hui son lot de dépaysement avant les long-courriers. « Brésil, Le Grand Boom » titre L’Express. « Spécial Brésil, la magie d’un continent » annonce Le Figaro magazine (5 mars 2005). Et la revue Ulysse Télérama nous invite à visiter le « Brésil, au plus chaud de l’Amérique latine ». C’est surtout pour celles et ceux qui ne traverseront jamais cet Océan qui nous sépare, et qui continueront à rêver de ce ‘Brazil’, du nom de l’arbre au bois rouge ou pau-brazil (Caesalpina echinata) – une essence en voie d’extinction -, un Brésil d’hier et d’aujourd’hui. Mais quid de demain ? Pour le savoir, il faut lire le Télérama hors-série « L’art des Indiens du Brésil au Grand Palais. Trésors d’Amazonie ». L’exposition se prolonge. Attention, la chute est rude.

Le 22 février 2005 (également télévisé), en réponse à la journaliste qui l’interrogeait sur sa vision du Brésil du futur en ces termes « Que diriez-vous de l’avenir ?», Claude Levi-Strauss a eu cette réponse terrible et réaliste : « Ne me demandez rien de ce genre. Nous sommes dans un monde auquel je n’appartiens déjà plus. Celui que j’ai connu, celui que j’ai aimé, avait 1,5 milliard d’habitants. Le monde actuel compte 6 milliards d’humains. Ce n’est plus le mien.» Deux expositions à Paris nous invitent donc à remonter ce temps-là, et celui qui est le nôtre aujourd’hui, et à descendre le cours de l’Amazone depuis ses sources dans les Andes vers son embouchure. Toutes deux ont en commun la forêt Amazonienne et les Hommes qui l’habitent, en vivent, ceux d’hier, avant et après la colonisation européenne, ceux d’aujourd’hui qui continuent à essayer d’en vivre malgré une emprise toujours croissante de la société moderne, des routes, des barrages, des pâturages et des élevages de bovins, des plantations de soja.

Au Grand Palais, l’exposition « Brésil Indien » est une ôde à la vie et à la mort, au propre comme au figuré, des peuples autochtones amérindiens, une exposition tout en couleurs, en musique, en chant, en danse. On remonte le fil du temps, aux sources de la vie, aux sources de l’Amazone, en commençant par l’étape finale, ultime instant de la vie après la mort chez les amérindiens, l’urne funéraire. Car les rites d’enterrement sont aussi le moment pour tous les groupes ethniques de se réunir, de festoyer, de se connaître, permettant aux hommes et aux femmes de se rencontrer, de se séduire. Puis, après nous avoir émerveillé avec les parures de plumes des oiseaux de la forêt amazonienne, on découvre la dernière salle des collections rapportées par Claude Levi-Strauss, au siècle dernier. Ces plumes-là ont perdu de leur attrait dans les collections traitées contre les moisissures et autres ravageurs. Trois photos défraîchies, comme sorties de l’album de famille, sont accrochées au mur pour évoquer cette tranche de vie dont nous parle encore aujourd’hui Claude Levi-Strauss, cette existence sous les « Tristes Tropiques ». Les objets de cette vie passée chez les amérindiens du Mato Grosso sont là, dans les vitrines, inertes, alignés, étiquetés, tout droit extraits des tiroirs et des collections des musées où ils sont conservés avec, pour seule valeur, celle d’évoquer l’homme, la femme, l’enfant qui les ont saisis, portés, utilisés au cours de leur vie en forêt Amazonienne. Triste nostalgie. Comme les photos qui jaunissent, les parures de plumes se dégradent, ternissent, se fanent comme les fleurs de printemps une fois coupées.

La plume est vivante sur l’oiseau en chair et en os. Pour fabriquer les coiffes, ce sont plusieurs dizaines de perroquets d’Amazone amazonica, d’Ara macao, Ara chloroptera ou Ara araurana qu’il faut abattre pour en capturer les vives couleurs. Ces coiffes sont soigneusement entretenues, conservées dans des paniers tressés. Il faut souvent les remplacer, et chasser de nouveau ces splendides psittacidés ; on peut aussi les élever au village. Pour cette exposition, un grand nombre des pièces exposées proviennent des Etats du Roraima, de l’Amapa et du Para, à la frontière des trois Guyanes, les derniers bastions de l’Amazonie qui restent à protéger, et en particulier de la Réserve Indigenas de Tumucumaque, où les amérindiens Wayana et Wayampi peuvent encore chasser ces volatiles en nombre suffisant pour continuer à produire tous ces objets de la vie courante. Mais avec la disparition de la forêt amazonienne, l’avancée du front pionnier, la déforestation et la chute de la biodiversité qui y est associée, on peut aussi parier qu’il leur deviendra de plus en plus difficile de se fournir en plumes pour les prochaines fêtes célébrant la vie, la mort, la re-naissance. Préserver la faune, celle des oiseaux sauvages comme les amazones vertes et jaunes, les aras bleus et rouges, l’agami gris, le hocco noir, les toucans noirs, rouges et jaunes, ce n’est pas seulement protéger la biodiversité pour notre confort d’européens qui ont plaisir à contempler ces beautés naturelles, transformées par la main de l’homme en forêt amazonienne. C’est également permettre l’expression de la diversité culturelle de tous ces peuples amazoniens, celle qui nous fascine et nous émeut encore aujourd’hui à Paris au Grand Palais, des décennies après que Claude Levi-Strauss les a quittés. Le Parc national de Tumucumaque du Brésil est donc plus que jamais un exemple à suivre pour la France, ne serait-ce que pour permettre aux Wayanas du Haut-Maroni et aux Wayampi de l’Oyapock de continuer à célébrer leurs rites culturels avec les produits de leur Nature, la nôtre en Guyane, un petit morceau de cette Amazonie au sens large.

Avec « Amazônia Brazil », le Palais de la Découverte nous entraîne dans un périple sur l’Amazone d’aujourd’hui avec ses grandes villes et installations industrielles. Dans les années 1970, les militaires brésiliens voulaient coloniser l’Amazonie et étendre la souveraineté de l’Etat aux confins du territoire, toujours inconnu. Pour un grand nombre d’entre nous, européens, ce pays est en effet une « Terra Incognita » ; cette exposition nous invite à découvrir, au fil de l’eau, son fleuve et sa forêt depuis ses sources jusqu’à son embouchure.

Dans l’exposition, en contemplant les images murales, géantes, de la forêt Amazonienne, on l’imagine encore intacte, baignée de toutes parts par des fleuves, des rivières. On se projette dans cet ‘enfer’ pour les uns, ‘paradis’ pour tous les autres, encore vert. Enfant, on se rêve explorateur, géographe, scientifique, ethnobotaniste, ethnologue au XXIème siècle, en périple dans le nouveau monde, perdu dans les monts Tumucumaque, sur les traces de Charles de la Condamine, de Bonpland et de Humbolt, et de Coudreau, dans les Guyanes, sur le Rio Negro, aux confins de l’Amazonie. Suspendu dans les hamacs du fond de la salle d’exposition, on se sentirait presque bercé par le bruyant moteur diesel de la tapouille[3] qui nous conduit dans le voyage de retour, de Laeticia à la frontière de la Colombie, vers Manaus puis Belem où nous embarquerions, enfin, pour l’ancien monde. Il ne manque plus que la moiteur ambiante et les moustiques !

Au terme de ce long voyage, on posera nos malles avec tous nos échantillons et collections scientifiques (coiffes de plumes[4], paniers tressés, calebasses, herbiers de fruits et de fleurs, couleuvre et platine de manioc, arcs et flèches, dents d’agouti, crânes de singe, becs de toucans, poteries, bancs et calebasses sculptés, colliers de graines, pharmacopée traditionnelle, huile d’andiroba, etc…) glanés ci et là dans les villages, en forêt, et qu’il nous faudra patiemment décortiquer, analyser, décrire et présenter au public averti ou profane. Tous ces objets pourraient tout aussi bien être notre paquetage rassemblé dans le katouri-dos. Après avoir abandonné notre village et notre dernier abattis envahi par les fourmis manioc, pour rejoindre à des lieues de là un ancien village abandonné il y a plus de 50 ans. Depuis, la forêt s’y serait reconstitué grâce au transport des graines par les animaux qu’on aura pris soin de ne pas exterminer en prévision du retour. Mais là s’arrête le rêve. La boucle et le cycle de la vie ne peuvent plus être bouclés. La réalité est tout autre. Elle est au cœur de cette exposition du Palais de la Découverte mais il faut prendre de l’altitude pour mieux en apprécier la portée, l’ampleur. Il faut voler plus haut que l’aigle Harpie et s’élever bien au-dessus des Monts Roraima ou Tumucumaque, plus haut que le Cessna qui m’a permis d’en avoir un premier aperçu en survolant le Mato Grosso del Sud pour rejoindre le tournage de l’émission Ushuaïa Nature en juin 2001, ce qui restait de la Mata, la forêt en brésilien après 20 ans de développement dans le sud du Brésil. Il faut s’accrocher au satellite, ou tout au moins analyser les images colorées que cet œil artificiel, qui voit et nous regarde, nous envoie de là-haut : la forêt d’émeraude vire au rose.

Habituellement, je lis l’hebdomadaire « Courrier International » dans l’avion, et quelquefois en ville selon les sujets abordés. Il y a plusieurs années, dans le cahier central dédié au futur très incertain de l’Amazonie, il se faisait l’écho des travaux de Bill Laurance et de la controverse sur le projet « Acança Brazil »[5]. Ce mois-ci, la revue a publié un hors série « Atlas des Atlas » de mars-avril-mai 2005. On y trouvera une carte, réalisée en collaboration avec l’IRD, de la forêt qui est, elle, bien connue des Amérindiens Mebengokre (ou Kayapo). Sous le titre « Amazonie en peau de chagrin » en page 54, on peut visualiser à quoi ressemble le recul de la forêt ; notre « poumon vert » est bien malade.

Le front pionnier a grignoté, année après année, la terre des Mebengokre. Coincés entre ce front et le fleuve Xingu, ils vivent désormais dans un périmètre de près de 200 kilomètres de carré avec un fort effet de bordure qui affecte un peu plus la réserve indigène. Le drapeau des Mebengokre est vert et jaune, barré par une diagonale bleue, la nuit étoilée, avec trois étoiles blanches. Au centre de la nuit, un arbre. Est-ce un châtaigner du Brésil (Bertholettia excelsa)[6] sur lequel repose en partie le développement durable et le commerce équitable de cette forêt amazonienne ? A l’instar des arbres de cette espèce protégée par la loi, cet arbre survit à la frontière des deux couleurs, celles de deux mondes antagonistes, d’une part le vert de la forêt, d’autre part les pâturages grillés par le soleil, le jaune mais vu par le satellite, c’est tout rose, ou rouge[7] selon le traitement des images Landsat, ou sur d’autres images avec des résolutions différentes. Bientôt, après l’abandon des pâturages du Para et du Mato Grosso, grâce à la réforme agraire tant voulue au Brésil, les « aventuriers de l’or vert » transformeront l’Amazonie en vaste champ de colza, « l’un des greniers à grain de la planète» dixit l’hebdomadaire L’Express du 21 au 27 mars 2005 (page 38-42). Et moi qui croyais que l’Amazonie était comme une bibliothèque avec toute la moitié de la diversité du vivant de la planète, voilà que c’est devenu une mono-culture, la contre-culture amazonienne. Un jour, en 1989, lors d’une mission dans la forêt près de Sinnamary, un Docteur Professeur Allemand me disait, en plaisantant, qu’on pouvait bien remplacer la forêt amazonienne par des champs sans que cela affecte le bilan de la couverture végétale de la planète. C’est ce qui est en train de se passer. Mais pour la diversité biologique et culturelle, on repassera.

Les couleurs du Brésil sont donc bien en train de changer. Le vert brocolis est remplacé par le vert soja, mais vu du ciel, c’est pas tout rose, sauf pour les satellites[8]. Cela, le magazine télévisé de France 3 « Des racines et des ailes » ne nous l’a pas montré. Dans le Télérama Hors Série sur l’exposition Amazonia Brazil, une autre photo vient compléter cette vision apocalyptique, futur annoncé de l’Amazonie. C’est celle de la région de Manaus, en double page, deux grandes claques pour planter le décor. Il y a 20 ans déjà, le rouge avait déjà pris le pas sur le vert. Manaus était alors surtout accessible par le fleuve Amazone ou par les airs, plus difficile était le voyage par la route. Depuis, des autoroutes relient la ville au nord et à l’est du pays ; la transamazonienne est toujours en développement pour rejoindre le Roraima, le Guyana, le Suriname, la Guyane, le Brésil coté Amapa, et la boucle sera bouclée. Lorsque le Brésil avance, la forêt recule, les taux de déforestation s’envolent. Quant est-ce qu’on atterrit ? Sur cet ancien cliché[9] de 1977 les limites de la réserve naturelle Ducke n’étaient pas nettes et se noyaient dans la forêt qui était encore présente aux portes de la ville, s’étendant alors jusqu’au Plateau des Guyanes sans interruption. En 1995, et encore mieux en 2005, on discerne très clairement les bordures d’un quadrilatère de verdure presque parfait . Cela me rappelle le survol de la réserve des chutes d’Iguaçu à la frontière Brésil-Argentine: un fragment de forêt encerclé par les terres agricoles. C’est à la fois réconfortant, puisque la forêt se maintient malgré le développement, et attristant tant il est vrai que ces forêts vont cesser d’exister écologiquement parlant, les animaux ne pouvant pas s’y maintenir et disperser les graines. La fragmentation de la forêt amazonienne est le prélude à la disparition éminente de sa biodiversité dans les 50 prochaines années au rythme actuel de la déforestation[10]. Si j’atteins un jour l’âge très avancé de Claude Levi-Strauss d’aujourd’hui, soit dans un demi-siècle, alors, à mon tour, je dirai aussi peut-être que l’avenir de l’Amazonie ne me concerne plus. Mais elle en concernera d’autres, comme moi aujourd’hui.

On peut encore espérer protéger et sauver cette forêt, avec l’aide des amérindiens notamment. En 1988, alors jeune étudiant moi-même, j’ai appris de la bouche de Darel Posey, un éminent écoanthropologue malheureusement trop vite disparu en 2001 à l’âge de 51 ans, que les Kayapo emportaient avec eux ces graines de châtaigner du Brésil et les plantaient, à la manière des agoutis, sur leurs itinéraires en forêt, en prévision des besoins des générations futures. Lorsqu’on compare les cartes du Télérama Hors Série, celle en page 5 montrant l’étendue des zones défrichées en 1981 et en 2000, et celle de la page 90 avec les limites des Terres indigènes reconnues ou en voie de l’être, une évidence s’impose: la survie de l’Amazonie passera pas les terres indigènes, seul rempart contre l’avancée des bulldozers et des tronçonneuses, et pas seulement par les parc nationaux et réserves naturelles qui sont si facilement colonisés comme nous l’a montré l’exemple guyanais de la Réserve des Nouragues. Comme nous le rapporte presque chaque jour l’actualité internationale (2), cela ne se fera pas sans heurts, sans haine. Les Etats devront être à la hauteur pour aider les jardiniers-indigènes, ces autres planteurs, aménageurs de l’Amazonie depuis quelques milliers d’années. En décembre 2004, j’ai rencontré sur le fleuve Essequibo dans la réserve Iwokrama, au Guyana, un amérindien Macuxi-Wapixana de plus de 60 ans. Devant sa maison, près de l’abattis, il a planté il y a 40 ans deux graines de châtaigner du Brésil. L’une a été emportée par un agouti, l’autre a germé. Le rejeton atteint aujourd’hui une trentaine de mètres et 80 centimètres de diamètre à sa base. Il porte des fruits qui renferment des graines. Son fils qui a mon âge m’a donné une de ces graines. Je ne la planterai pas mais cette chronique en est le fruit. Il va falloir beaucoup plus d’homme-agouti pour replanter la forêt Amazonienne !

Post Scriptum. (AFP) Dans Le Monde du 3 mai 2005. « Brésil : les autorités ont obtenu la libération de quatre policiers retenus en otage par des Indiens, samedi 3 avril, dans l’Etat amazonien du Roraima […]. Les planteurs de riz et les autorités locales refusent de céder les terres (de la réserve Raposo Serra do Sol légalisée le 15 Avril) aux 16484 Indiens macuxis, taurepangs, wapixanas et ingarikos. ». Le même jour, en page 19, il y avait un article sur l’entreprise de cosmétiques Natura qui est engagée auprès des communautés indiennes pour la production et le commerce équitable de produits dérivés de la diversité végétale de la forêt amazonienne. L’espoir est encore de mise.


[1] Mis en ligne le 10 juin 2006 pour l’ouverture du nouveau site blada, j’ai rédigé cette chronique il y a plusieurs mois, au commencement de l’année du Brésil, et après avoir visité diverses expositions à Paris. Depuis, la presse s’est nettement réveillée et le discours a évolué, plus particulièrement pendant la quinzaine du Commerce équitable puis la semaine du Développement Durable fin mai. On parle donc de plus en plus de la déforestation de l’Amazonie, des élevages de bovins et de poulets, et des plantations de soja comme dans divers articles de Libération du 25 mai et celui du Monde daté du 24 mai. Je ne peux que m’en réjouir.

[2] voir chronique 4

[3] Nom donné en Guyane aux bateaux qui navigue sur l’Amazone et dans les pays voisins

[4] http://www.albany.edu/museum/wwwmuseum/amazon/

[5] http://www.abrasil.gov.br/

[6] http://www.bertholletia.org/bertholletia/

[7] http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/amazoniedeforestation

[8] http://glcf.umiacs.umd.edu/data/modis/vcc/img/Brazil_deforestation_result.jpg

[9] http://www.biodiversityscience.org/xp/CABS/research/economics/econ_popup.xml

[10] http://www.nex.org.br/causas_habitat.htm