Lors de la conférence sur la biodiversité à Paris le 29 janvier 2005, le Président de la République Jacques Chirac a appelé de ses vœux à la création d’un Parc National de la Guyane pour la fin de cette année. La date butoir du 31 décembre se rapproche donc à grandes enjambées. Aucune fumée blanche annonçant la bonne nouvelle ne se dégage des colonnes du Journal Officiel. Serait-ce un vœu pieu ?[1]Cette fin d’année sera aussi l’occasion de faire le bilan de l’année du Brésil en France. Beaucoup a été dit et écrit sur la culture et l’économie d’un pays qu’on a beaucoup de mal à considérer comme « en développement » après l’avoir parcouru en long, en large. La presse et les reportages télévisés n’ont pas manqué de souligner les contrastes sociaux et les conflits d’intérêts qui cohabitent dans l’immensité Amazonienne, le Cerrado et la Mata Atlantica.
D’une part, il y a cette nécessité impérieuse de se développer, de nourrir près de 60 millions de pauvres et de rembourser la dette, quitte à convertir une bonne partie de ses territoires boisés en zones agricoles de soja pour la grande diffusion et de maïs, et en zones d’élevage de zébus. De l’autre, sous la pression internationale sans cesse croissante, il y a cette obligation de réduire le taux de déforestation et les rejets de gaz à effet de serre, notamment ceux qui sont issus des feux de forêt et des flatulences des zébus qui prospèrent sur l’ensemble du territoire gagné sur la forêt amazonienne.
N’a-t-on pas aussi oublié d’aborder le chapitre de la protection de la nature et la sauvegarde des habitats, et les multiples initiatives de développement équitable et durable des populations brésiliennes. En partie seulement. Il n’a pas été souvent question des points forts du Brésil en matière de conservation de la biodiversité, peut-être parce que cela porterait ombrage à notre pays en la matière, en Amérique du Sud, en Guyane.
A Brazilia et à Uberlandia (Brésil), deux conférences internationales ont réuni en juillet 2005 plusieurs milliers de scientifiques spécialistes de la conservation des forêts tropicales. Tous s’accordent à penser que nous sommes au bord du précipice en Amérique du Sud. Un pas de plus et c’est la catastrophe. L’avenir n’est pas radieux pour l’Amazonie, dont fait aussi partie le département français de la Guyane. Le futur de l’Amazonie est entre les mains des dirigeants et des gouvernements des différents Etats, pas seulement ceux du Brésil.
Ce pays a déjà accompli un pas gigantesque. Dans un ouvrage paru cet été, David Hammond[2] a établi un bilan des mesures de conservation, de protection et de gestion de la forêt du plateau des Guyanes. La Guyane contribue pour sa part à près de 4 % de la surface totale de cette région. Si on compare les attitudes respectives des deux pays vis-à-vis des mesures de conservation de la biodiversité, le contraste est saisissant. On peut se demander lequel des deux pays est le plus en avance, ou en retard, pour la protection de ses forêts tropicales.
Quelques chiffres. Avec ses 88.000 km ² de territoire, seuls 5,6 % de la Guyane sont protégés (4970 km²). Au Brésil, c’est le double pour la région du Plateau des Guyanes, soit plus exactement 120.000 km². La création du plus grand parc National du monde, le Parc Tumucumaque, accolé à la frontière française, ainsi que nombre de réserves indigènes en sont les principales raisons.
Si on rapporte ces données aux taux annuels de zones naturelles mises en protection à la surface des Etats ou du Département de la Guyane, le Brésil fait la course en tête de peloton. Par habitant, cela signifie 3,2 ha dans le département français contre 10,4 ha au Brésil. Il n’y a pas photo. Et, plus surprenant, le Brésil apparaît comme un leader en matière de conservation de la forêt Amazonienne.
C’est encore plus criant pour la faune sauvage dans le Pantanal, dans les deux Etats du Matto Grosso et du Matto grosso do Sul, par exemple. Le Brésil a imposé un bannissement total du commerce des animaux sauvages et de la viande de gibier. La France ne fait pas beaucoup d’effort pour imiter son voisin.
Au Brésil, le tapir et les pécaris sont intégralement protégés. En France, en Guyane, la réglementation à la fois de la chasse et du commerce des espèces non domestiques est d’un autre temps, d’un autre âge. Hormis les populations amérindiennes et bushi-nenge qui dépendent du gibier pour leur existence, la plupart de la population guyanaise se rend dans les épiceries et les supermarchés pour s’alimenter. Il faut aussi compter avec les orpailleurs clandestins, estimé à cinq habitants sur cent en Guyane, qui prélèvent leur butin pour s’alimenter sur les sites aurifères.
Le tapir et les cochon-bois ou pécaris à lèvre blanche sont deux des mets de choix dans ce DOM franco-amazonien. Malgré des études scientifiques menées au cours des dernières années et plusieurs rapports alarmants sur la chasse en Guyane mettant en évidence la vulnérabilité et la raréfaction de ces espèces de gibiers, voire leur extinction prochaine, rien n’a été engagé pour empêcher leur vente dans les hypermarchés. C’est légal[3].
Légal, certes, mais plutôt surprenant en ce XXIème siècle sachant que le tapir est inscrit sur la liste des espèces patrimoniales de Guyane et sur celle des espèces menacées de disparition au niveau mondial. Pour les pécaris, la situation n’est pas aussi critique. S’ils semblent être encore abondants dans diverses régions, en revanche, dans d’autres pays américains, ils sont en danger, voire sont devenus rares comme au Mexique, à Belize, au Costa Rica et au Brésil dans le Cerrado et la Mata Atlantica.
Dans un autre ouvrage récemment édité par Kirsten Silvius et coll.[4] sur la faune et les hommes en Amérique tropicale, le bilan de dix années de conférences scientifiques et de plusieurs décennies d’études sur les populations de ces animaux charismatiques, permettent d’affirmer sans aucune ambiguïté qu’il n’y aura pas de gestion durable de cette faune tant qu’une pression cynégétique incontrôlée et un distribution commerciale illimitées seront tolérés. Après s’être développée en Afrique, la crise de la viande de chasse (« bushmeat crisis ») est en train de s’étendre à l’Amérique. Les tapirs et les pécaris sont aux premières loges car ils seront directement affectés par la chasse professionnelle, la déforestation et la fragmentation de la forêt Amazonienne.
On cite souvent l’écotourisme comme une voie alternative de développement pour les pays tropicaux, et cela fait rêver en Guyane depuis que Léon Bertrand, originaire du département, a été nommé Ministre délégué au tourisme. Sur ce plan aussi, le Brésil n’a guère à rougir de ses réalisations. L’année du Brésil en France a permis à nombre de nos concitoyens en mal d’exotisme tropical à s’y intéresser de plus près. Afin d’admirer la faune de la forêt amazonienne, le tapir et les pécaris notamment, il serait en effet plus que préférable de se rendre dans le Pantanal, par exemple, plutôt qu’en Guyane, à moins d’aimer passer ses congés dans les hypermarchés de Cayenne, au rayon boucherie, seuls endroits où il est facile d’admirer les restes des animaux de la forêt amazonienne.
[1] A la date de mise en page sur le site www.blada.com le 27 décembre 2005, le Parc National est toujours en projet.
[2] Tropical Forests of the Guiana Shield, David Hammond, CABI (2005)
[3] voir chronique 12
[4] People in Nature, Wildlife Conservation in South and Central America. Edité par Kirsten M. Silvius, Richard E. Bodmer, et José M. V. Fragoso. Columbia University Press (2004). Voir l’analyse (en anglais) du livre en ligne http://www.atbio.org/tn_v17_n1.pdf Forget, P.-M. 2005. May the Pigs Fare Well! Tropinet 17: 4-5.