3. A propos de l’exposition de la porte dorée et de l’article de Sylvie Briet récemment paru dans la presse nationale intitulé « Une espèce atypique présentée à l’aquarium de la Porte Dorée[1]. En Guyane, un piranha qui vit d’herbe et d’eau fraîche »[2], on peut lire « Mais l’un des plus gros avantages de ces poissons est qu’ils sont indemnes de mercure, fait particulièrement appréciable dans cette région polluée par l’industrie aurifère ». Ceci est une contre-vérité (« Assertion contraire à la vérité » selon le Petit Robert). Dans le même registre on peut lire qu’ « indemne » signifie « Qui n’a éprouvé aucun dommage. V. Sain (et sauf) ». Or, dans l’article de Charlet et Boudou dans la revue La Recherche [3], il est très clairement mentionné que les poissons végétariens, comme le sont les coumarous[4] , par exemple, concentrent, à faible dose certes, le mercure dans leur muscle. En page 57 de cet article, il y a un graphique (Figure 3) qui montre clairement que les poissons herbivores-frugivores en question (poissons herbivores mais aussi frugivores[5], avec des concentrations comprises entre 25000 à 50000 ngHg/kg (poids secs), sont à la base de la chaîne alimentaire qui conduit à l’empoisonnement successif des poissons carnivores (900 000 ngHg/Kg), des poissons piscivores aïmaras (8 000 000 ngHg/Kg) et, in fine, de l’Homme. (cf. Exposition au mercure de la population amérindienne Wayana de Guyane : enquête alimentaire)[6]. Alors, sont-ils vraiment indemnes de mercure ces Coumarous ?
On pourrait s’inquiéter de la légèreté de certains journalistes sur un sujet aussi grave ; la stricte vérité scientifique est pourtant publiée et disponible pour tous et n’autorise pas à minimiser ainsi et une fois de plus les risques encourus par les populations autochtones. Je pense ici à tous les habitants de la Guyane qui aiment se déplacer sur les fleuves et s’y alimenter en pêchant ces bons et gros poissons herbivores, frugivores et carnivores, qui tous, tour à tour, concentrent le mercure le long de la chaîne alimentaire.
En effet, si le mercure est bien présent à faible dose dans les plus petits poissons, sa concentration augmente cependant progressivement des plus petits au plus gros, pour culminer chez l’huluwi et l’aïmara dont la chair est tant appréciée par l’Homme, par tous les hommes et femmes de Guyane.
Sur le site de l’article de Fréry et collègues publié en 2001 sur les activités d’orpaillage et la contamination au mercure en Guyane française[7] on peut lire :
« Contamination levels in fish. During the two study periods, 270 individual fish from 48 species were collected (Table 1). Total Hg concentrations measured in the muscle samples showed marked differences between species, according to their feeding regime and their position in trophic networks. Herbivorous species, such as Acnodon oligacanthus and Myleus rubripinnis, were characterized by low average Hg concentrations of 49 and 65 ng/g [dry weight (dw)], respectively. Conversely, piscivorous species, such as Pseudoplatystoma fasciatum and Hoplias aimara, had average contamination levels in the muscle of 4,700 and 2,910 ng/g (dw), respectively. Overall, 14.5% of the fish analyzed exceeded the safety limit applied in the United States, Canada, and Brazil of 500 ng/g (fw) or 2,500 ng/g (dw).»
Notons au passage que l’espèce M. rubripinnis en question est un petit poisson de 10 cm qui contribue très faiblement (0.1 %) à la prise de mercure (classé à la 29ème position). En y regardant de plus près, sur le tableau des 48 espèces de poissons analysés, le coumarou est pourtant classé à la 10ème place (sur 42 compte tenu des regroupements d’espèces) pour sa contribution (1,25 % soit 10 fois plus que l’autre espèce de Myleus) à la prise de mercure par les amérindiens (sic !), on peut lire que les taux de mercure dans les muscles sont de de 103 + 122 ng/g contre 3965 + 1045 ng/g pour l’aïmara (responsable et coupable pour 22,02 % de l’imprégnation au mercure), classé 2ème dans ce triste top 50 ! Le coumarou représente (en 1997) à lui seul 15,9 % de la chair consommée par les populations Wayana, le huluwi et l’aïmara, classés respectivement 1er et 2ème de la classe, totalisant tous deux autant soit 14,7 % de l’apport de viande de poisson dans le régime des amérindiens du Haut-Maroni. Si les Amérindiens mangent beaucoup de coumarous, notamment quand il n’y a plus d’aïmara suite à une pêche excessive, par exemple, ou lorsque les coumarous dans les rivières et fleuves se concentrent en saison sèche (au moment de la nivrée notamment), cf. Meunier et Boujard (2001)[8], cela est comparable à une importante consommation d’aïmaras, et inévitablement revient à concentrer le mercure dans leur propre organisme…
En résumé donc, la concentration mesurée en mercure dans les muscles augmente d’une espèce à l’autre le long de la chaîne alimentaire, en fonction des régimes alimentaires des poissons, et le coumarou comme l’aïmara, chez lequel les taux excèdent la limite autorisée par les autorités sanitaires des Etats-Unis, du Canada et du Brésil, contribuent tous les deux à l’empoisonnement des populations autochtones.
Alors, toujours sains ces coumarous?
[1] Cette chronique a été rédigée alors que la crise de l’orpaillage explose en Guyane sur le Maroni et pendant qu’une exposition du Muséum National d’Histoire naturelle donne peu de place à la perturbation majeure qu’est l’orpaillage ; elle a été publiée en ligne le 20 mars 2004
[2] http://www.liberation.fr/page.php?Article=183073
[3] Charlet, L. and Boudou, A. (2002) Cet or qui file un mauvais mercure. La Recherche 359, 52-59.
[4] En Guyane, les Wayanas reconnaissent trois espèces de coumarous ou kumarus : watau ihle (Mylopus sp. ), asitau (Prosomyleus rhomboidalis), et watau yaikë (Tometes lebaili), cette dernière étant une nouvelle espèce décrite en 2002 par M. Jégu, P. Keith et E. Belmont-Jégu.
[5] Boujard, T., Sabatier, D., Rojas-Beltran, R., Prevost, M.-F. and Renno, J.-F. (1990) The food habits of three allochthonous feeding characoids in French Guiana. Revue d’Ecologie (Terre et Vie) 45, 247-258.Boujard, T., Sabatier, D., Rojas-Beltran, R., Prevost, M.-F. and Renno, J.-F. (1990) The food habits of three allochthonous feeding characoids in French Guiana. Revue d’Ecologie (Terre et Vie) 45, 247-258.
[6] http://www.invs.sante.fr/publications/mercure/rapport3.html
[7] Fréry, N., Maury-Brachet, R., Maillot, E., Deheeger, M., de Mérona, B. and Boudou, A. (2001) Gold-Mining Activities and Mercury Contamination of Native Amerindian Communities in French Guiana: Key Role of Fish in Dietary Uptake. Environmental Health Perspectives 109, 449-456. http://www.ehponline.org/members/2001/109p449-456frery/frery-full.html
[8] Meunier, F.J. and Boujard, T. (2001) Fishes of the Arataye river and their spatio-temporal organization. In: Bongers, F., Charles-Dominique, P., Forget, P.-M. and Théry, M. (eds), Nouragues: dynamics and plant-animal interactions in a neotropical rainforest. Biological Monographs Series, Werger, P.D.M. (ed). Kluwer Academic Publisher:, Dordrecht, The Netherlands., pp. 185-189.