L’actualité écotouristique est plutôt chaude en Guyane[1], partagée entre les derniers propos du Ministre (Guyanais) du Tourisme Léon Bertrand à propos du Comité du Tourisme Guyanais et ceux tenus par Mr Hermès (Takari Tour) sur RFO, le pillage des pontes de tortues vertes dans la réserve régionale d’Awala-Yalimapo, la destruction d’équipements écotouristiques dans la réserve naturelle de Kaw, et la prolifération des sites clandestins d’orpaillage dans la réserve naturelle des Nouragues[2].
Lors du dernier salon du Tourisme à Paris, nul doute que nombre de touristes potentiels n’ont pas manqué de visiter le stand de la Guyane pour y rechercher un exotisme tropical et un thermomètre avec des températures supérieures à 25°C, ce qui est plutôt rare en cette période hivernale en Métropole ! Le carnaval est bien fini depuis longtemps, le carême aussi, et les élections régionales et cantonales sont passées par là. C’est bien un autre climat qui les attend maintenant en Guyane, et comme aurait pu le dire dans une pub TV notre brésilien national d’opérette alias Chico : la Guyane, ‘Chaleeeeeeeuuuuur’ !
Un article de la rubrique Loisir du numéro dominical Le Figaro Magazine daté du 6 mars 2004 (n° 18532) ouvrait en double page sur une coque alu traversant un jolie plan d’eau : nous sommes «En Guyane Bleu, blanc, rouge Brésil ». On est en Amazonie française, et selon l’auteur de l’article, l’aventure guyanaise commencerait là où les routes disparaissent. La légende de la photo rappelle que la forêt guyanaise n’a pas de frontière, l’infini étant de mise lorsqu’on ose s’aventurer hors des sentiers battus, hors du macadam. La légende de la photo centrale oublie cependant de dire que la photo a été prise sur la retenue du Barrage électrique de Petit Saut où les arbres, les pieds dans l’eau, sont définitivement défeuillés, morts, hébergeant encore quelques Broméliacées épiphytes. C’est ce que l’on appelle dans le jargon, la forêt grise ; la verdure type «brocolis» y a ici entièrement disparu.
La traverser en coque ou pirogue donne, en effet, une bizarre impression de fin du monde, éventuellement agrémentée de quelques rares toucans à la gorge rouge et jaune qui traversent, de temps en temps, la forêt inondée par l’Homme au nom du développement durable. Mais passons.
«La Guyane est moins exotique que familière». Par cette affirmation, Sébastien Lapaque entame un opus manuscrit hebdomadaire qui est pour le moins étonnant. Selon l’auteur, que vous soyez à Saint-Laurent sur les berges du Maroni, à Kourou face aux îles du Salut, ou entre Cayenne et Ouanary, vous vous sentirez aussi à l’aise que si vous étiez, respectivement, dans une cité au bord de la Loire, face à l’horizon d’un ciel Breton ou encore dans nombre de lieux communs de la Métropole.
Plus la peine d’aller en Guyane donc pour se dépayser, puisque la République, une et indivisible, a «domestiqué» la Guyane au point qu’elle se mette à ressembler à la moindre petite bourgade ou agglomération métropolitaine avec ses petites boites à lettres, ses quatre voies bien éclairées, ses ronds-points de verdure et ses feux tricolores. Bref, fini les sempiternelles envolées lyriques sur la beauté de la flore et de la faune Guyanaise. Le carnaval est passé, c’est vrai ! Fini aussi les digressions sur la beauté des fleuves et des rapides qui sont impossibles à franchir à mains nues. Fini les belles nuits en hamac sous une voûte étoilée. Fini aussi de rêver de cette rencontre rare, inopinée d’un jaguar sur les layons de la grande sylve tropicale puisque la forêt en est pleine. Enfin, c’en est aussi terminé des séjours exotiques en commune avec leurs faux airs de bout du monde. C’est entendu, à lire S. Lapaque, l’exotisme de notre département en Amérique du Sud vient aujourd’hui d’ailleurs. Du Brésil ?
Le titre de l’article évoque, indirectement, le roman de Jean-Christophe Ruffin «Rouge Brésil »[3] (2001, © édition Gallimard, Prix Goncourt 2001) qui se déroule dans l’extraordinaire et magnifique baie, boisée et sauvage, de la future ville de Rio de Janeiro, au début du XVIième siècle, au premier temps de la colonisation européenne dans le nouveau Monde. En pleine réforme, un chevalier de Villegagnon, de l’ordre de Malte, français, catholique et papiste, tente de fonder une colonie sur une des îles de la baie, face aux plages d’Ipanema et de Copacabana.
Pris entre deux feux, celui des catholiques Portugais qui sont déjà installés sur le continent et celui des Huguenots réformateurs envoyés de Suisse par Calvin pour s’emparer de la colonie, tout espoir d’implantation française au Brésil du sud s’envolera pour le chevalier, et avec lui la chance d’y voir un comptoir français en Amérique du Sud. La Guyane offrira donc aux Français leur seconde et unique chance de s’établir en cette terre d’Amérique équinoxiale. Dans le corps du texte de S. Lapaque, on peut y découvrir une description de la Guyane relativement originale. Je vous renvoie à l’article qui doit certainement se trouver dans la salle d’attente du cabinet dentaire ou médicale le plus proche. On retiendra qu’il y est fait référence à la jeunesse multi-ethnique du département, à la beauté naturelle des fleuves et des rivières, et que la forêt y est truffée de chercheurs d’or, de jaguars, de tatous, d’indiens, de papillons… Un véritable inventaire à la Prévert, un Eldorado pour les écotouristes et les scientifiques. Mais, comme s’interroge l’auteur de l’article, qui rêve encore à cet Eldorado sinon les chercheurs d’or, cette armée de brésiliens qui, par tous les moyens, migrent depuis l’Amapá et, via la RN2, rejoignent « les rivages enchanteurs de l’Approuague ». Bref, à lire cet article, on pourrait croire que la Guyane est devenue un Eden pour les pauvres garimpeiros clandestins et leur famille qui s’en vont vivre dans ce « havre de paix » que sont les fleuves de Guyane, l’Approuague notamment. Qui pourrait croire cela ? Puis l’auteur nous conte toute l’histoire de la Guyane, celle de la Grande Guyane, la colonie française équinoxiale d’Amérique, celle qui se serait étendue de l’Amazone au Rio Branco, celle tant rêvée par Jules Creveaux[4], mais qui sera au final Brésilienne.
Alors que le Comité du Tourisme de la Guyane cherche à changer l’image du Département en vantant son originalité et ses destinations «sauvages» hors du commun, ses universités et ses toulouloua, ici, rien de tout cela, bien au contraire. Pas de «On ne vous croira pas» à propos de la richesse des paysages, de la beauté de la faune et de la flore guyanaises, des expéditions aventureuses pour les naturalistes amateurs. Selon une publicité télé d’une marque d’ordinateur vue en métropole , « être grand c’est avoir un bureau en Guyane ». Si on comprend bien, cela signifie qu’une grande entreprise a même des bureaux en Guyane, soit au bout du monde ! Comment vous faire confiance autrement ! De toute évidence, la richesse de la diversité de la Guyane est devenue évidente pour tous les métropolitains et il n’est même plus nécessaire d’en rajouter une couche.
Alors, comment vanter la Guyane de manière originale maintenant. Tout simplement en rappelant que la Guyane, l’Amazonie « française », la France en Amazonie, c’est aussi depuis peu un peu plus le Brésil ! Il va falloir apprendre le Portugais. Chaleur ![5]
[1] Cette chronique a été rédigée en pleine crise sociale alors que le carnaval de Guyane bat son plein ; elle a été publiée en ligne le 7 avril 2004 sur www.blada.com
[2] voir chronique 1
[3] http://www.gallimard.fr/catalog/Html/event/goncourt2001.htm
[4] Le mendiant de l’Eldorado, Jules Creveaux – Ed.Phébus (d’ailleurs)
[5] Merci à tous les Brésiliens qui apportent des couleurs vives à notre drapeau, du vert pour la forêt et du jaune pour le soleil, notamment pendant le carnaval faune-flore 2004 en Guyane